Décembre 2020

OMUPO !

Les Vibrants défricheurs
à la MJA du 16 au 20 novembre 2020

Texte : B.B.

Un plateau de répétition de musiciens électriques c’est à peu près tout le contraire d’un plateau pour danseurs. Ici l’espace, l’épure, le vide et des corps en mouvement ; là un vrai et scrupuleux et volontaire bazar! des instruments en tous genre, des trucs et des machins étranges aux formes improbables parfois très volumineuses, des témoins d’amplis qui clignotent tout le temps,  des fils partout, des chaises pour accueillir la solide immobilité des interprètes - bref des têtes le plus souvent  penchées en avant, vers les doigts ou des pupitres, et surtout … du matos !

 

 

 

Çà c’est pour l’ordinaire, mais avec les Vibrants  Défricheurs certes il y a tout çà, mais en beaucoup plus sophistiqué ! des instruments inventés de toutes pièces,  avec de surcroît des écrans, des tables qui tournent, des peintres/ plasticiens et une caméra en direct avec un chef opérateur itinérant. Çà brasse, çà cherche, avec une passion incroyable pour l’improvisation. Tout partira de là pour ne cesser d’y rester.

On reste des heures durant comme çà, en quête de la Grâce.

 

 

Les sublimes outils d’artisans electronico-baroques, sont la voie d’accès à cette rareté ludique. A l’écoute çà ressemble à rien de bien référencé, on se laisse surprendre par toute cette liberté, ce « free » comme on disait il y a quelques temps encore.

 

 

Et puis chemin faisant celui qui regarde assiste à ces moments projetés sur écran « d’écriture automatique instantanément déchiffrée ».  Une drôle d’installation : ils sont alors 3 captés en surplomb qui inventent en direct une partition, jouée par ceux qui ont encore les mains libres. Notes, dessins, coloriages, brouillons de brouillons, on se retrouve face à une sorte d’Ouvroir de Musique Potentielle, un OMUPO, qu’aurait adoré un Raymond Queneau et ses copains.

 

 

 

 

Mais là  aussi, comme pour leurs prédécesseurs en littérature, techniquement c’est du haut de gamme. Piano, Saxos, batterie, guitares, percussions, cordes, etc … çà envoie ! comme on dit dans le jargon. Cette virtuosité au service de la musique elle même peut bien parfois questionner sur la fabrication d’une musique pour musiciens ?. Et pour commencer pourquoi-pas ? la poésie et le désir de se faire plaisir en travaillant beaucoup sont là. Que deviendra ce travail de résidence avec la complicité du Théâtre de l’Arsenal ? ils n’en savent rien eux mêmes pour le moment - c’était des débuts, du laboratoire, de l’expérimental et des fantaisies, avec de belles surprises à venir, impossible d’en douter :  on s’impatiente déjà !

 

 
 
 
 

MATIÈRE PAYSAGE

Compagnie Contrepoint / Yan Raballand
au Dancing du 23 au 27 novembre 2020

Texte : Marie Nimier

Parmi tous les projets invités à Val de Reuil en cet automne particulier, celui de la compagnie Contrepoint est sans doute le plus gonflé, par sa modestie même. Et le plus délicat. C’est également le plus ambitieux, en termes d’accueil : Yan Raballand a réuni, avec la complicité du théâtre de l’Arsenal, 9 comédiens, une danseuse, un vidéaste, un peintre et une écrivaine pour tenter une expérience chorégraphique et en garder la mémoire. En plein confinement (deuxième vague), c’est une aubaine. Un pari un peu fou. Le gars, il prend des gens comme ça, des comédiennes, des comédiens, au hasard on dirait, parmi ses amis ou les amis de ses amis, ses complices de toujours, ses rencontres d’un jour, sans les avoir vus jouer pour certains, danser pour la plupart. Le gars, il les rémunère, parce que c’est la moindre des choses, dit-il — et comme ça, je me sentirai libre de tournicoter autant qu’il me plaira autour d’une idée. Je pourrai tout leur demander !

 

 

Plus que demander, il donnera — c’est ce que je comprends dès la première journée de travail, et chacun repartira ragaillardi, prêt à affronter Noël que le virus, malgré tous ses efforts, n’aura pas réussi à éradiquer.

 

NI UN SPECTACLE EN COURS
NI UN SPECTACLE TOUT COURT

 

 

Une semaine ensemble, donc, pour chercher. Ou peut-être : pour confirmer une intuition. Voir ce qui marche et ce qui ne marche pas, en faisant toujours confiance à la danse. Tu aimes moins ce mouvement ? dit Yan à un de ses interprètes. Alors il faudra que tu l’aimes dix fois plus. À aucun moment il ne sera question de lancer les bases d’un spectacle. Il y aura simplement une présentation du travail le vendredi mais, règles sanitaires obligent, sans public extérieur — quelques membres de la compagnie Beau Geste et du Théâtre de l’Arsenal seront là, masqués de noir, assis sagement sur une rangée de chaises — c’est à cette occasion que sera évoquée l’idée (voir plus haut) de la modestie.

 

 

UNE DANSE MODESTE

On connaissait les arts modestes, ils ont leur musée à Sète qui a pour vocation de montrer ce que l’on ne regarde pas. La danse modeste serait-elle à la danse contemporaine ce que la danse contemporaine est à la danse classique ? Les corps des comédiens sont comme ils sont. En apparence moins travaillés que ceux des danseurs. Moins sculptés — ou sculptés par autre chose que de l’entraînement. Sculptés par la pratique de leur métier, mais surtout par la vie, la nourriture, les années. Ils ont 37, 43, 66 ans. Ils ne sont ni forcément souples, encore que, ni forcément musclés. Ni forcément excentriques. Tous partagent ces qualités qui font que Yan les a conviés : l’habitude du plateau, la capacité à entendre des indications, à les mémoriser, l’appétit d’inventer dans un cadre proposé. Et, ce mot encore, l’humanité.

L’humilité ?

Devant un chorégraphe, le comédien est dans une position singulière. Il est celui qui ne sait pas. Ou qui ne sait pas bien. Pour Yan, il est celui qui sait autrement. Qui bougera autrement.

 

 
 

SANS SE TOUCHER (OU PRESQUE)

Les comédiens seront par rangée de trois. Trois rangées de trois, donc. Ils danseront en suivant un rythme lent, sans se toucher (ou presque), séparés et ensemble. Les gestes ne se succéderont pas, ils se transformeront à la façon de l’eau ou des nuages, selon la technique du morphing — comme à la fin, explique Yan, du clip Black and White de Mickael Jackson (la comparaison avec le roi de la pop s’arrête là, encore que, fera remarquer l’un des participants, Yan a quelque chose de Bambi, vous ne trouvez pas ? Un Bambi blond).

Quand la mémoire est bien calée, que chaque ligne sait ce qu’elle doit faire, on met en lumière les connexions, les rendez-vous, les points et les contrepoints. La rencontre des regards. L’écoute est au cœur du processus, jamais Yan n’impose ses mouvements. Jamais il ne corrige. Jamais ne montre. Il n’y a ni saut, ni course. Au plus vite, de la marche. Et ça marche. Au cinquième jour de travail, il est temps de faire un filage. Je regarde ma montre : douze minutes d’une beauté fragile. Pas un truc curieux, brindezingue, loufoque, non : une façon d’être au monde avec soi et avec les autres, sans exagération. Une performance modeste, oui, le mot est bien trouvé, qui ouvre le cœur et monte les larmes aux yeux.

 

 
 
 

 

Come Together

Frédéric Jessua / la BOÎTE à outils
au Conservatoire de Val-de-Reuil du 23 au 27 novembre 2020

Texte : B.B.

 

Les Beatles auront juste mis 10 ans avant de devenir immortels.

Le plus grand groupe de Rock de l’Histoire explose en 1970, mais c’était une mèche lente qui couvait depuis des années. Pour qui le veut, on sait tout des différents qui progressivement les éloignèrent - juridiques, amicaux, familiaux, crise de management etc… mais là n’est point le sujet dans la salle de l’auditorium du Conservatoire qui sera pour une semaine la thébaïde du groupe de la Cie Boite à Outils.

 

 

Ici commence de s’y répéter le futur spectacle Come Together . Ils et elles sont six, sur les traces du groupe mythique, avec comme boussole la musique incroyablement novatrice des quatre  garçons, et en arrière plan la période d’enregistrement  d’Abbey Road et la séparation du groupe qui va suivre. Du sujet dramatique, historique ou musical , l’équipe de Frédéric Jessua veut d’abord en faire une épopée artistique avec instruments plus ou moins d’époque. L’équipe, et c’est là déjà une première singularité, réunit d’abord des metteurs en scène et des comédien(ne)s, avant des musiciens, même si certains ne sont pas en reste aussi de ce côté là. La matière ? la musique, et la fable qui l’aura accompagnée autour des années 1967/69.

 

 

 

 

On passe d’un instrument à l’autre, on diffuse des fragments authentiques, on improvise longtemps sur deux accords sublimes des maitres - les échos remontent alors, le merveilleux de cette époque que le temps enjolive encore, est de nouveau là. On connaît  le référent  et on cherche à inventer quelque choses de rare et sensible 50 ans après … oui , 50 ! et pourtant il y a du pur présent dans cette aventure.  On essaie des fragments de textes dont on ne veut surtout pas qu’ils soient didactiques, tandis qu’un matelas à même le sol attend YoKo Ono, la méchante, qui avait squatté le studio et n’a pas été pour rien dans cette affaire de divorce.

 

 

 

A partager ces moments de répétitions on se dit qu’un spectacle sagement d’une heure quinze ce serait peut-être hors sujet. On rêve d’une immersion musicale et narrative dans un studio pendant des heures. En 1976  Bob Wilson avait fait un spectacle/ opéra  ( repris souvent depuis) de plus de cinq heures avec Phil Glass, et Lucinda Childs,  c’était Einstein on the Beach. On y entrait et on en sortait comme on voulait, un verre à la main, comme dans un cabaret, mais plutôt sophistiqué.

Avec ce projet, aux moyens certes liliputiens en regard, c’est pourtant à cette forme qu’on se prête à songer; quelque-chose de très ouvert sur le souvenir sensible et vivant d’une période historique, qui réunirait de façon singulière,  comme dans un rêve éveillé, les spectateurs et cet ensemble atypique.

 

 

 

 

Promis on vous tiendra au courant !

 

 

Les Galets au Tilleul

Claire Laureau & Nicolas Chaigneau
Résidence à la MJA du 7 au 11 décembre 20

Texte : Dominique Boivin

 

Je devais assister à un filage vendredi 11 décembre à 11h, le rendez-vous était pris. Je devais voir le travail en cours puis écrire un texte.

 

 

Durant cette semaine PJPP en résidence Arsenal hors les murs à la MJA de Val-de-Reuil, 1 semaine d’immersion pour poursuivre le travail de leur prochaine création  « les Galets ».

Je parle avec eux de leur projet, ils me parlent de bêtise et je leur réponds « l’idiotie » ce livre de Jean-Yves Jouannais qui parle des arts plastiques, de la littérature, de la musique et du cinéma qui regorgent d’artistes qui ont joué à faire les idiots dont certains ont fait le choix de n’être pas compris.

 

 

 

 

Ça m’intéresse l’idiotie, j’y vois un voyage hilare.

Ils me disent le jeudi soir que le filage est annulé. Ils veulent utiliser leur dernier jour pour finir impérativement un passage.

Je ne verrai donc rien. Ils ont raison, les espaces libres pour chercher sont rares, mieux vaut ne pas perdre de temps.   

Je vais donc m’imaginer leur bêtise ou leur idiotie.

 

 

 

 

Est-ce que cela se rapprochera des idiots de Lars Von Trier ou bien un goût d’irrévérence à la Paul McCarty ?

Quand on est gamin on entend souvent « arrête de faire l’idiot », pourtant il y a dans l’idiotie une forme de spiritualité. Un goût pour l’intelligence, non pas celle qui fait de nous un premier de la classe.

 

 

 

 

« Regardez-moi bien ! Je suis idiot, je suis farceur, je suis fumiste. Regardez-moi bien ! Je suis comme vous tous ». (Tristan Tzara)

 

 

 

 

La Séance

Benjamin Coyle / Cie Kopfkino
au Théâtre de l'Arsenal du 14 au 18 décembre 2020

Texte : Philippe Priasso

 

Il ne faut pas plus de deux secondes dans un rai de lumière surgi du noir profond du plateau pour nous avertir que pénétrer le monde ouaté de Benjamin Coyle et de ses complices se mérite et qu’il va falloir se retrousser les méninges comme on se retrousserait les manches. Oh! Pas au sens intellectuel du terme, mais bien au sens mémoriel d’un cerveau qui chavire en suspension dans l’éther. Tant le moment délicatement singulier qui nous attend va amortir la course des souvenirs rugueux et âpres dans les couches successives de leurs remontées au temps présent.

 

 

 

Pour preuve ces gisants ressuscités de leurs nuages après une partie de cartes improbable faisant tourner le « re » des verbes en action comme une incantation à la répétition infinie de nos claires ou obscures obsessions. Avec en prime, haut perchée sur talons blancs, une invitation aux esprits qui nous habitent à les rejoindre dans une vie bien réelle et parfois dans des scènes aussi mornes et banales que ce que les clichés de notre quotidien peuvent produire.

 

 

 

 

La vie n’est pas la mort et la mort n’est pas non plus la vie, mais sous le chapeau de Benjamin elles semblent néanmoins se rejoindre dans l’endroit unique et précieux de ses souvenirs vrais, rêvés ou imaginaires que seul le plateau d’un théâtre peut, par la magie du temps et de l’espace retrouvés, permettre enfin, ne soyons pas trop ambitieux, d’en appréhender ne serait-ce que les contours d’un sfumato décalé et subtil.